L’avènement du grand reportage :
Albert Londres et Maurice Dekobra en Chine
D’une part, nous avons Albert Londres (1884-1932), provincial, d’origine modeste, ex-comptable, établi à Paris en 1903, où il devient l’année suivante correspondant du quotidien lyonnais Le Salut public. Journaliste parlementaire au Matin à partir de 1906, il végète dans ce métier jusqu’à la Première Guerre mondiale. Puis viennent les reportages au front : correspondant de guerre, il est remarqué pour son style précis et mordant, passe au Petit Journal, avant d’être embauché par l’Excelsior : en 1920, il parvient à entrer en RSFS de Russie, jetant un regard extérieur rare sur la Russie soviétique. Dès 1922, il sera en Asie, et c’est dix ans plus tard, de retour d’Asie qu’il trouvera la mort dans le naufrage du Georges-Philippar : une décennie de grands reportages à ce point célèbres qu’il sont édités sous forme de livres. Lorsqu’il meurt, il a inventé le grand reportage et un journalisme d’un nouveau style, intransigeant et engagé.
D’autre part, nous avons Maurice Dekobra (1885-1973), d’un an son cadet : parisien, petit bourgeois, destiné au métier de représentant de commerce par son père qui l’envoie dès le baccalauréat en Allemagne et en Angleterre pour en faire un polyglotte. La guerre le ramène en France ; il devient officier interprète et traverse ainsi la guerre avant de publier ses premiers livres, des romans satiriques et burlesques. Il connaît un succès rapide dans les rayonnages du « roman de gare » parce qu’il écrit bien, mais aussi parce qu’il maîtrise sa communication. Vite connu, il voyage pour nourrir son inspiration, rédige des reportages qu’il publie dans les journaux, qui formeront plus tard récit de voyage ; à son retour, il écrit des romans tirés de ses observations : c’est, avec lui, la littérature cosmopolite qui voit le jour. Durant l’entre-deux-guerres, il devient l’écrivain de langue française le plus lu ; de son vivant, il vendra quatre-vingt-dix millions d’exemplaires de ses œuvres.
L’un et l’autre viennent en Chine : Albert Londres d’abord, et deux fois. Tout d’abord en 1922 (ses articles paraissent dans Excelsior en mai-juin), puis en 1932 (ses articles paraissent dans Le Journal en février-mars 1932) : seront ensuite publiés La Chine en folie et La Guerre à Changhaï. Maurice Dekobra ensuite : il est à Shanghaï en novembre 1933, au moment où La Condition humaine, d’André Malraux, est couronné par le Goncourt. Il publiera un livre de voyage (Confucius en Pull-Over ou le Beau voyage en Chine) et deux romans sur Shanghaï. Que nous disent ces reportages de la Chine post-impériale, révolutionnaire, puis républicaine, puis divisée et envahie par le Japon, c’est-à-dire à la fois des événements et de leur compréhension par ces reporters ? Y trouve-t-on des informations sur la vie politique, économique, sociale, artistique, quotidienne des Chinois ou des expatriés ? Comment ces récits informent-ils des lecteurs à qui la Chine n’est pas familière ? Quels sont les enjeux de la présence de ces écrivains en Chine, et de leur discours ? Enfin, quoi le grand reportage participe-t-il de la mondialisation de l’information ? Autant de questions qu’il conviendra d’examiner lors de notre conférence.
*
Gaultier Roux vit en Chine depuis 2016. Maître de conférences au sein du département d’études françaises de l’Université Fudan (Shanghaï), ses recherches portent principalement sur la littérature française des 19e et 20e siècles envisagées par le prisme de la littérature de voyages, de l’exotisme et de l’orientalisme. Depuis sa thèse de doctorat, il poursuit ses recherches sur Pierre Loti (ouvrage à paraître). Il travaille notamment à la réédition prochaine de son roman Matelot (Éd. Voilier Rouge), mais aussi du roman Le Chancellor de Jules Verne (Magellan & Cie). Il représente la Société des Études Romantiques et Dix-Neuviémistes en Chine et est entre autres membre du comité directeur de la Société d’Histoire des Français de Chine.